I copy this post from (mathematician and economist) Ivar Ekeland‘s letter to the presidents of the Société Mathématique de France and the Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles, published on the Médiapart website .  For those who don’t read French online translations capture the meaning surprisingly well.

Ce 10 juin est une journée internationale de grève pour marquer la volonté des universitaires et des chercheurs de lutter contre le racisme antinoir dans leurs rangs. Le mouvement est parti des Etats-Unis sous les hashtags #ShutDownAcademia, #ShutDownSTEM,  et  partout dans le monde les institutions les plus prestigieuses se sont interrompues pour marquer leur solidarité.  Partout, sauf en France. Pourquoi ? Croit-on vraiment que cela ne nous concerne pas ? J’ai adressé aux présidents des deux sociétés savantes auxquelles j’appartiens, la SMAI (Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles) et la SMF (Société Mathématique de France) la lettre suivante. L’AMS (American Mathematical Society) et SIAM (Society for Industrial and Applied Mathematics) sont les sociétés correspondantes aux USA.

 

Le 2 Juin, la présidente de l’AMS écrivait à tous les membres de la Société pour marquer le soutien de celle-ci au mouvement populaire qui se développe aux Etats-Unis contre le racisme antinoir et les violences policières. A cette occasion, elle écrit « We must accept the shared responsibility of changing our world for the better, and examining our own biases as part of that ». Le 3 Juin, la présidente de la SIAM faisait de même et écrivait : « We recognize that we are all accountable for making change happen, and we offer our solidarity to those who are deeply impacted, especially our Black colleagues, students, and staff in the SIAM community ». Le 4, le directeur de l’IAS de Princeton parlait au nom de l’institution : «  At IAS, we all must stand together against racism—in the U.S. and in all parts of the world—and, in our work, strive to be leaders in understanding and dismantling the ways that discrimination and injustice are perpetuated. «

 

Je regrette que ni la SMAI, ni la SMF, ni aucune de nos prestigieuses institutions n’aient jugé bon de prendre une initiative de ce genre. Il y a pourtant bien des raisons de le faire. Le racisme antinoir et les violences policières ne sont pas l’apanage des Etats-Unis, la France en a largement sa part. Je rappelle que la répression violente contre les gilets jaunes a été condamnée par une résolution du Parlement Européen, et que dans son dernier rapport le défenseur des droits, Jacques Toubon, dénonce l’emploi d’armes « non léthales » (ce qui veut dire qu’elles ne tuent pas nécessairement, mais qu’elles peuvent laisser de très graves séquelles) contre des manifestants pacifiques et l’impunité des forces de l’ordre.

 

Quant au racisme antinoir, nous le constatons tous les jours dans nos universités. En cinquante ans de carrière, j’ai rencontré en tout et pour tout trois professeurs d’université noirs – un en France, un aux Etats-Unis, un au Canada. Par contre, chez les appariteurs, les vigiles, et ceux qui nettoient nos bureaux la nuit, ils sont là, et l’habitude fait qu’on ne les remarque même plus.

 

Je vous rassure : il n’y a pas que chez les matheux ! Je me souviens d’avoir discuté avec un collègue économiste. Je lui disais : « Est-ce que tu connais un professeur d’université noir? ». La réponse a été: « Mais qui tu verrais? ». Si nous en sommes au point qu’un professeur ne se rende pas compte que c’est justement là le problème, qu’il n’y a personne parce qu’il n’y a pas de candidat, et qu’il n’y a pas de candidat justement parce qu’il n’y a personne, c’est vraiment que nous sommes malades, et beaucoup plus malades que les Etats-Unis. Eux, au moins, savent qu’il y a un problème et s’en préoccupent.

 

Je pense que la SMAI, et la SMF, et les autres sociétés savantes françaises, devraient prendre exemple sur l’AMS, et proclamer comme elle que « Nous devons accepter notre responsabilité collective de changer le monde en mieux, et pour cela de remettre en question nos propres préjugés ». En particulier, je demande qu’elles se saisissent de la question de la sous-représentation des noirs parmi les enseignants du supérieur. Peut-on la mesurer? [This is an allusion to the illegality of collecting ethnic statistics in France, MH.] Après tout, je ne peut faire état que d’une expérience personnelle, et il faudrait l’étayer par des données statistiques. Comment lutter contre elle ? Les racines du problème plongent certainement très loin, et y remédier demanderait sans doute que l’on intervienne dès le lycée et les classes préparatoires. Il est urgent de lancer une enquête.

 

Je regrette que la communauté mathématique française n’ait pas suivi l’exemple de nos collègues américains, et ne se soit pas mobilisée comme eux le 10 juin, suivant l’appel #ShutDownAcademia. Ecoutons au moins leur appel : il faut lutter contre les violences policières et le racisme antinoir. Et si on ne l’a pas fait avec eux, faisons le après eux. C’est urgent ! Le déni n’est plus possible.